15/10/2015 – A chaud, Ignicité revient sur le Symposium de la Revue Experts, qui se tenait ce jour à Paris. Le thème portait sur un sujet qui nous est cher ici, « Expertises et Experts en Europe », autrement dit la question de l’avenir de nos pratiques d’expertise et leurs éventuelles harmonisations.
En guise d’introduction, nous rappellerons que dans « expertise incendie » il y a certes « incendie » et il semblera évident à tous et toutes que nous devons être compétents dans notre domaine technique qu’est la recherche de causes et de circonstances, mais il y a aussi « expertise ». Or ce terme d’expertise revête de multiples formes :
• il définit des fonctions : on peut être expert judiciaire, expert d’assurance, expert d’assuré, expert fonctionnaire également ;
• il définit une mission : rendre un document technique permettant de déterminer la cause d’un sinistre ou d’un litige pour aider un juge à se prononcer, une compagnie d’assurance à établir une stratégie, des parties à s’entendre sur des solutions amiables, etc…. ;
• il définit des pratiques : différentes selon qu’il s’agisse de médecine, de mécanique automobile ou d’investigation post-incendie par exemple ;
• il définit également des cultures d’expertises parfois très différentes d’un pays Européen à l’autre.
Sur cette dernière considération européenne (thème de ce Symposium), certains vont peut-être s’interroger sur la pertinence d’une telle question. La plupart d’entre nous pratique une expertise qui reste essentiellement régionale, parfois nationale, rarement voire jamais hors frontière. Alors quid de l’intérêt de l’Europe en terme d’expertise ?
En définitive il est de deux ordres :
• d’une part, parce que notre domaine d’expertise s’appuie sur une matière première que sont les bâtiments, les véhicules, les équipements, les mobiliers etc…. et qu’aujourd’hui ce sont des produits mondialisés qui sont fabriqués. La réalité du marché économique est telle que nous sommes, nous expert incendie, y compris sur une scène d’incendie d’un petit pavillon, sur sa parcelle de 500m², situé dans un village de 400 habitants, confrontée à l’Europe : le conduit de cheminée est français, la VMI est anglaise, l’ossature bois est roumaine, la lampe de chevet suédoise…,
• d’autre part, parce que nous serons tôt ou tard poussés par les juges et par l’Europe à adopter des méthodes techniques et expertales communes, à harmoniser nos pratiques, à fiabiliser nos résultats, à aborder l’essentielle question des compétences et de leur certification, enfin à poser à tous (et pas seulement aux experts judiciaires) la condition du principe de l’impartialité…
Pour illustrer l’aspect européen de nos expertises incendie, nous pouvons citer par exemple une expertise sur laquelle Ignicité travaille actuellement, qui implique un matériel dont le fournisseur est français, l’assembleur est belge et les fabricants de la plupart des pièces sont italiens (pas les mêmes bien sûr pour simplifier l’expertise). Dans cet exemple nous sommes confrontés à plusieurs difficultés très simples :
• la traduction de nos notes d’expertise pour les parties étrangères,
• les délais pour mettre en cause des fabricants européens, or l’expert doit veiller aux délais raisonnables de l’expertise,
• la difficulté de la langue, l’ensemble des parties ne maitrisant pas l’anglais or l’expert judiciaire doit veiller à la contradiction des débats, autrement dit qu’ils soient entendus, compris et discutés par tous ;
• les divergences de pratiques expertales et de systèmes judiciaires qui ferait que la/les parties étrangères seraient désavantagées par rapport à leurs opposants français alors que l’article 6§1 de la CEDH précise pourtant clairement le principe du procès équitable dont les juges doivent être garants, et à travers eux l’expert sur le terrain.
Cette simple illustration montre bien les difficultés auxquelles chacun d’entre nous peut être confronté. La question de l’intérêt pour la pratique de l’expertise européenne n’en est donc pas une. Nous la pratiquons déjà, ou nous sommes tous susceptibles de la pratiquer.
A ce titre, sur 180 participants, nous avons constaté la présence d’experts bâtiments (très nombreux), médecins (fortement représentés également), traducteurs (très présents aussi), expert incendie… : 1…Ignicité. La « profession » ne sentirait-elle pas l’intérêt de ces réflexions ? La question est ouverte….
Passée cette longue introduction, quelles ont été les idées maîtresses évoquées :
1. D’une part, il est intéressant d’apprendre qu’un long travail d’état des lieux des pratiques expertales européennes a été mené entre autres, par l’Institut Européen de l’Expertise. Ces recherches ont servi de base de discussion avec la commission européenne concernée à Bruxelles, dont il doit découler prochainement un « Guide des bonnes pratiques de l’expertise en Europe ». D’autres normes sont également à prévoir dans les mois à venir.
2. D’autre part, il ressort que dans le nécessaire dialogue qui est mené au sein et avec l’Europe, il serait important que la France se dote d’une structure représentative de type « fédération ». A ce jour, il n’existe pas de telle structure qui aurait la légitimité d’intervenir au nom des experts français.
3. Il a également été rappelé que 97% des litiges en France sont réglés en phase amiable. Autrement dit, l’expertise judiciaire n’intervient pas pour plus de 3% des litiges. Cela implique qu’alors que le cadre de l’expert de justice est très réglementé autour des principes de « contradictoire » et « d’impartialité », les experts amiables sont amenés de plus en plus à évoluer eux aussi vers cette même déontologie. En tout état de cause, lorsque les experts ne sont clairement pas impartiaux, les accords ne sont pas signés et l’affaire se poursuit en judiciaire.
4. Autre sujet abordé s’il en est un : la question des compétences, des qualifications, des formations initiales ou continues et des équivalences….. A travers l’Europe, les pratiques de « contrôle » des compétences des experts sont très variables. En matière d’expertise incendie, on le voit bien, ce sujet est tout à fait d’actualité : quel critère, quelle certification, quelle validation, quel programme, quel pré-requis, etc…. Que l’on se dise expert, investigateur, technicien ou enquêteur incendie et/ou explosion, quelles sont les compétences qui se cachent derrière le praticien ?
5. Enfin, un sujet tout à fait passionnant et pour le coup, qui nous interpellera tous dans nos pratiques : l’idée d’une méthode d’expertise ! Plusieurs intervenants soulignent l’impérative nécessité que les différents champs techniques d’expertise puissent à l’avenir s’appuyer sur des méthodes ! Il est nécessaire de pouvoir croiser et corroborer les données et les résultats. Il est impératif d’harmoniser nos règles de preuves. Il est important de pouvoir donner une valeur indicielle aux traces que nous lisons. L’expert de demain devra non seulement déterminer la cause d’un sinistre mais expliquer comment il aura pu déterminer cette cause ! Or, bonne nouvelle, de ce côté, l’expertise incendie a une petite marge d’avance avec la méthode NFPA 921. Certes il s’agit d’un guide référentiel qui nécessiterait d’être adapté, mais c’est une base de réflexion que tous les champs d’expertise ne possèdent pas aujourd’hui.
Enfin, sachons que les avocats plaident pour qu’un débat contradictoire puisse avoir lieu après rendu de l’expertise… Ce dernier point pose d’énormes questions. Aujourd’hui le rapport technique d’un expert judiciaire vise à « purger le débat technique ». Demain, les avocats demanderont à ce que ce débat technique se poursuive devant le juge et en présence de l’expert…. Leur demande s’appuie sur la prédominance de l’avis de l’expert qu’ils estiment nuire à la discussion et au débat contradictoire devant le juge. Cette demande peut apparaître comme une remise en question des conclusions de l’expert….
En guise de conclusion, l’expertise a un grand avenir devant elle, mais elle doit pour cela se placer dans un champ de pratique européenne, s’adapter aux enjeux de demain (le développement des nouvelles technologie est encore devant nous), enfin travailler à la mise en œuvre d’une démarche qualité de l’expertise en s’inspirant de ce qui est déjà fait dans certains secteurs ou certains pays et qui vise à harmoniser les pratiques, fiabiliser les démarches, introduire de la méthode dans nos pratiques et fiabiliser les indices de sorte qu’ils deviennent aux yeux du juge des preuves judiciaires. Pour rappel, l’expert parle de traces incendie, l’enquêteur parlera d’indice dans le cadre d’une enquête, le juge d’instruction de charges, et seul le juge peut définir qu’un élément est une preuve judiciaire. A nous experts d’améliorer la qualité de nos protocoles, de nos méthodes et de nos démarches qualité pour faire en sorte qu’une trace qui nous semble pertinente puisse apparaitre au juge comme une preuve qui permettra de dire la vérité juridique.